Par Patrice Vergès. Produite de 1965 à 1970, la R8 Gordini était bien davantage qu'une version sportive du cheval de bataille d'alors de la Régie Renault. C'est une voiture générationnelle qui a suscité les passions les plus folles bien avant la 205 GTI.
On imagine mal aujourd'hui comme cette voiture magique a révolutionné une génération d'automobilistes passionnés. Elle proposait pour un prix presque ordinaire (13 500 francs 1967 soit environ 30/35 000 € actuels) des sensations extraordinaires. Fin 1966, lorsque la version 1300 au moteur poussé à 88 ch DIN et a boîte à 5 rapports a vu le jour, l'Ami 6 catapultée par ses 25 ch et 108 km/h était la voiture la plus vendue en France. Vous imaginez ? Avec ses 175 km/h, ses accélérations foudroyantes (32 s aux 1000), son incroyable maniabilité due à son moteur arrière et ses 850 kilos, la Gordini 1300 était la reine de la route. Surtout si on savait la conduire, pardon la piloter, car assez pointue, elle pratiquait une sorte de sélection naturelle parmi ses conducteurs.
17 sur 20 en rédaction
J'en ai possédé plusieurs notamment une méchamment préparée avec un kit 1296 cm3 (105 ch) accouplé une boîte courte. Pratiquement aucune voiture sérieuse ne pouvait s'attaquer à une" Gorde" à une époque où la route était un combat dont on ne sortait pas toujours vainqueur. Avant de donner sa mécanique à la Berlinette Alpine, elle a été une formidable machine à gagner des courses d'abord pour la Régie Renault en s'imposant dans de grandes épreuves, plusieurs fois le Tour de Corse (moteur 1440 cm3 et 120/130 ch) avant de devenir un tremplin vers la Formule 1 pour de jeunes pilotes qui disputaient la célèbre Coupe Gordini aux luttes spectaculaires, portes contre portes, poupe contre proue.
Dans la R8 Gordini de Guy j'ai retrouvé les odeurs, bruits et sensations pour ne pas dire les vibrations de ma jeunesse enfuie. Cette mécanique omniprésente pas très à l'aise en dessous 4000 tr/mn s'envole comme une balle dès ce régime lâchant une poignée de décibels par son pot Devil en forme de mégaphone. Tous les propriétaires de Gordini l'installaient à la place du pot d'origine qui étouffait trop la sonorité de son moteur concocté par le sorcier Amédée Gordini qui lui avait donné son nom.
Pour Guy, c'est sa madeleine de Proust. " Enfant à 14 ans, j'ai découvert la R8 Gordini sur le stand Renault au Salon de Paris 1968. Le coup de foudre face à cette voiture de couleur bleu (bleu France 418)". A l'école, le lendemain, on nous a donné une rédaction à faire et je l'ai écrit sur la R8 Gordini. J'ai eu 17 sur 20 ! "
Une Gordini dès 18 ans
Guy n'a plus rêvé que d'avoir une R8 Gordini et après roulé dans celle d'un copain, dès qu'il a eu son permis à 18 ans en 1972, il a acheté sa première Gordini. Une version 1100 à 4 vitesses produite deux ans de 1965 à fin 1966. Elle a été remplacée par une version 1300 plus rapide qu'il avait chaussée de jantes larges de 13 pouces comme la majorité des possesseurs de R8 Gordini. " Même en 1974, c'était encore une voiture exceptionnelle et je tournais en circuit avec. Je me souviens être tombé en panne avec pendant notre voyage de noce. Puis je suis parti à l'armée et j'ai dû la vendre à regrets car elle consommait beaucoup et mon salaire de 2eme classe ne me permettait plus de mettre de l'essence".
En effet, si la Gordini offrait des performances exceptionnelles, son moteur généreusement alimenté par deux gros carburateur Weber avalait près de 15 litres aux 100 si on tirait un peu sur la mécanique. Mais son rugissement était si beau que cela faisait partie de l'ADN de cette voiture.
Retrouver ses 20 ans
Guy a fait sa vie puis à l'heure de sa retraite arrivée avec son épouse. Ils avaient le blues du bleu 418. L'idée de racheter la Gordini de leurs 20 ans, les titilla de nouveau. " J'ai cherché longtemps car c'est une voiture devenue rare (11 607 produites dont 8981 version 1300) et très recherchée par les amateurs. Elles ont souvent fini leurs jours maquillées et trafiquées ou accidentées. C'est seulement en 2016, que j'ai déniché la Gordini de mes rêves. Une de 1967 entièrement restaurée en 2005 et qui totalisait seulement 99 000 km au compteur avec un moteur refait depuis 30 000 kilomètres. Elle était dans cet état exceptionnel et d'origine, excepté les jantes larges d'Alpine, autant au niveau carrosserie que mécanique ".
Si vous aimez la solitude, ne roulez surtout pas en Gordini, car elle rappelle toujours quelques anecdotes aux personnes croisées autant les plus vieux que les plus jeunes admiratifs. Son heureux propriétaire est habitué à ce qu'on vienne admirer sa monture lors des sorties et rassemblements du sympathique Auto Biscarrosse Club dont il est un membre très actif.
Guy aime sa balader avec (4 à 5000 km par an) au coté de son épouse qui, bien que passionnée, trouve que le 1255 cm3 fait quand même beaucoup de bruit dans l'habitacle. Dans une Gordini, ce n'est pas du bruit c'est une musique. Bien qu'elle soit un meilleur placement qu'une assurance vie (cotée autour de 50/60 000 € dans cet état), absolument pas question la vendre. Même pour acheter la nouvelle Alpine A110 qui fait rêver Guy et dont je lui ai conté, avec flamme, le bonheur d'avoir pu la piloter. Quand je l'ai quitté, notre passionné avait retrouvé certainement le même regard que celui de ses 14 ans, devant la R8 Gordini du salon de l'auto.
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