Par Patrice Vergès. Combien d'anciennes ai-je conduites ? 200. Peut-être davantage. Des puissantes 12 cylindres jusqu'aux modestes 2 cylindres. Tout a commencé à l'âge de 17 ans. C'était il y a bien longtemps.
Mes copains d'adolescence n'aimaient pas le foot, ils préféraient les tacos. Nom qui désignait les voitures rétro d'alors. En cette fin des années 60, les tacots qui dataient des années 20 et 30 pouvaient être achetés pour une bouchée de pain. Ainsi dès 17 ans, j'ai roulé en C4 Citroën, Renault NN et autre Citroën A. Une drôle d'expérience qui m'a appris à respecter le passé. Les ingénieurs qui concevaient ces voitures n'étaient pas moins compétents que ceux d'aujourd'hui et il y a toujours une raison aux choses.
Il faut éviter de juger le passé avec nos pensées d'aujourd'hui qui ne seront pas celles de demain.
Lâcher les chiens !
C'était le temps où on sillonnait les nombreuses casses situées en plein vent aux portes des villes pour découvrir des merveilles oubliée et tapissées de mousse. Les casseurs n'étaient pas des romantiques et menaçaient de lâcher les chiens devant ces ados qui désiraient simplement admirer et même "sauver" de belles épaves dont certaines coûtent des fortunes aujourd'hui.
Dans les années 70, la mode du rétro n'existait pas encore. Dans le magazine Échappement où je débutais, j'avais suggéré une rubrique Rétro. Mais le rédacteur en chef ne voyait pas l'intérêt de parler d'une voiture d'hier. À Cette époque, on n'avait pas la nostalgie du passé puisqu'on n'avait pas peur du lendemain. Mon essai d'une magnifique Jaguar MK II 3,8 l ne passa donc jamais.
"De vieux enfants "
En 1980, AutoRétro, revue dédiée aux voitures de hier, vit le jour. C'était inédit et bien pensé et la mode fut lancée. C'était déjà le temps où on commençait à regretter le passé en le parant de vertus qu'il n'avait pas toujours eues. Et c'est en 1984, au coté de Jean François Marchet dans le magazine AutoHebdo que je pus enfin commencer à essayer officiellement des voitures d'hier dans une rubrique joliment appelée "Histoires pour demain".
Ce qui ne m'avait pas empêché entre temps de conduire de nombreuses voitures rétro (on ne disait plus taco) appartenant à mes copains. Membres de club d'anciennes, ils possédaient des modèles jugés bizarres à l'époque et extraordinaires aujourd'hui : Ferrari Lusso, Mustang 4,7l, Mercedes 190 SL, D.B et CD Panhard, Jaguar E et Austin Sprite. Personne ne se souciait de la valeur qu'elles avaient car il ne serait venu à l'idée à aucun de nous qu'on pourrait spéculer avec.
On ne jugeait pas une voiture à son prix mais aux sentiments et joies qu'elle nourrissait en nous. Le premier problème consistait à les faire rouler car il n'y avait pas encore de refabrication de pièces comme aujourd'hui. Il fallait courir des garages pour retrouver de vieux stocks oubliés ou parcourir les casses en se faisant courser par des chiens agressifs. Par goût, j'ai toujours préféré les voitures populaires. Celle avec qui nous avons une histoire et qui nous replonge dans notre enfance. Les collectionneurs de voitures anciennes sont souvent de vieux enfants.
Pour Autohebdo, j'ai pu reconduire les sportives des années passées, de nombreuses Alfa Romeo de la 1750 de la fin des années 20 jusqu'à la GTA ex-Jean Rolland au trois mythiques bandes blanches, Talbot Lago, Ferrari Lusso, Matra Djet, Triumph TR5, Ligier JS2 dont le châssis coupé donnait le curieux sentiment que la voiture s'allongeait au freinage et se raccourcissait à l'accélération. Aussi des CG Simca et des Berlinette Alpine qui ne coûtaient pas 100 000 euros alors.
Épouvanté, j'ai vu arriver la première vague de la spéculation au début des années 90.
Une de mes relations féminine ne me parla plus lorsqu'elle roula en Ferrari 512 ! Les Coupes de l'Age d'Or à Montlhéry qui étaient jusqu'alors une organisation sympa devinrent une succursale du GP de Monaco avec l'arrivée de Patrick Peter. J'écrivis des papiers fort méchants sur cette évolution jugée négative ce qui me valut un gros procès que je perdis. Beaucoup de personnes, préparateur, commissaires priseur et autre organisateurs avaient compris qu'ils pouvaient se faire du blé avec l'auto ancienne.
Après, je suis passé à la revue Autopassion toujours publiée par Michel Hommell qui était entièrement dédié à l'auto ancienne et qui fut certainement la meilleure du genre. Quand je vois ce que certains nous servent aujourd'hui, on comprend lieux pourquoi la presse auto se casse la gueule. Lorsque son rédacteur en chef fut remplacé par un autre "plus tendance, coco", je préférai partir plutôt que de réécrire un énième portrait dithyrambique de Maître Poulain qui avant d'être un artiste est d'abord un commerçant.
Puis, après Autopassion, ce fut une rubrique à l'Automobile Magazine, un peu l'Auto Journal, Autodéfense, quelques autres dont le nom m'échappe et une dizaine d'années à Retromania sous le surnom d'Oncle Pat. Nom que j'ai conservé aujourd'hui pour les revues Youngtimers et le Chevronné où je me commets sans oublier autant de temps au Moniteur Automobile. Un magazine de très grande qualité qui continue sa vie en Belgique. Le titre de ma rubrique était " nous nous sommes tants aimés". Il y a eu aussi Octane dont j'aimais bien le ton.
Un moteur d'avion !
Petit à petit, l'idée d'écrire des livres autour de l'auto ancienne, caressa mon esprit. Le premier en 2006 fut " 30 ans de voiture bleues " et le dernier en décembre prochain sera sur le théme des plus belles Simca.
Sur ces 200 ou 300 voitures, quelle sont celles qui m'ont le plus séduit ? Généralement les Peugeot car sous leur robe austère et sans glamour, elles cachaient des qualités dynamiques supérieures à leur concurrentes d'alors souvent plus valorisantes. Conduire une DS 19 resta un moment palpitant dans ma vie d'essayeur, comme une Talbot Lago de F1 même si ce fut très bref ou une Porsche Carrera ou R5 Turbo Cevennes. Mais la plus impressionnante, celle qui m’a laissé le plus de sensations physiques reste la fabuleuse Méphistophélès essayée pour Auto Hebdo. Voiture qui avait battu le record de vitesse mondial à Arpajon en 1922 où plusieurs personnes s'étaient évanouies en la voyant débouler à 230 km/h.
Un moteur d’avion de 22 000 cm3, 320 ch à 1800 tr/mn, 230 km/h. Dans mon dos, je percevais le martellement de chaque explosion des pistons. Avant la mise en route, le pilote italien me fit comprendre par signes que je devais m’enfoncer dans l’habitacle. Je n’en compris pas la raison. Un autre de ses gestes plus radical signifiant que je risquai de me faire couper la tête si l’une des chaînes d’entraînement se rompait au démarrage, me poussa vivement et rapidement à l’écouter. Les extraordinaires sensations ressenties au sein de ce gros monstre rouge aux halètements de locomotive m’ont largement récompensé. Un essai que je n’oublierai jamais…
L’avis des Petits Observateurs
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