Souvenirs d’Autos (497) Une Bugatti dans le garage

Ceux qui ont suivi, les assidus, le savent : j’ai commencé très tôt !

Or, il est très tard !

Donc, en 1967, il y a des siècles, j’étais déjà accro aux bagnoles, comme beaucoup à l’époque : mais notamment au très haut de gamme : Bugatti, Hispano et autres.

À cette époque existait déjà un mensuel, de fêlés, par des fêlés, pour les fêlés : le Collectionneur Français.

Ça ne ressemblait à rien : exclusivement noir et blanc, format petite revue, papier glacé (!) pas de photos au début, bref, le Monde Diplomatique, mais des collectionneurs ! Et surtout des petites annonces ! Au Royaume–Uni, « exchange and parts » fait un carton pour les voitures anciennes, mais en France, presque rien…

Certes, pour les voitures, il y a le Chasseurs Français : 40 chevaux Renault ; Bugatti 4,9 litres à compresseur TBE, Hispano Coupé chauffeur Labourdette parfaitement, entretenue par chauffeur, etc. mais les annonces matrimoniales du Chasseur français sont réputées et étouffent le marché… l’actu des expos et… les petites annonces !

Les annonces du Collectionneur Français, il faut savoir que ça existe ! sauf erreur, c’est sur abonnement … Mais le journal est bien foutu…

Un thème de collection décortiqué chaque mois

Il me semble qu’Escarro, un des futurs piliers du Canard Enchaîné était partie prenante, bref…

En 1999, je ne sais plus comment, j’ai l’occasion de racheter une collection complète du « Collectionneur Français ».

Des dizaines de kilos, mais un régal ! Cerise sur le gâteau, un numéro spécial  de quarante années je crois avec un index thématique ! longues soirées d’hiver assurées !...

Lors de l’une d’elle, mon cœur prend des tours lorsque je tombe sur une des annonces datées de Septembre 1969 :

Vends Bugatti 1937,  parfait état d’origine, curieux s’abstenir.

Suivent un nom et une adresse…

 

J’ai beau en avoir déjà une, et pas la plus courante, ni la plus moche, les souvenirs remontent et la nuit suivante est agitée. Et puis, la formulation est insolite : pas de type, pas de carrosserie, tout ça est bien étrange pour un propriétaire de Bugatti ! Tout le monde sait qu’une Bugatti c’est un type, à défaut un nombre de cylindres et comment elle est carrossée et par qui… À presque fin d’insomnie, vers trois heures, ma décision est prise demain si je trouve, j’appellerai…

Le lendemain matin, grâce au « 12 », on me communique le numéro de l’auteur de l’annonce… Je décide d’attendre la fin de matinée, et vers 11 heures 30, j’appelle ; à la troisième sonnerie :

- Allô oui, j’écoute…

- Bonjour Monsieur, je vous appelle à propos d’une annonce

- Je vous arrête, je n’ai pas passé d’annonce … au revoir monsieur !... et il raccroche !

Je m’interroge sur la conduite à suivre et je rappelle :

- S’il vous plait, écoutez-moi sinon ça va être compliqué… vous vendez une Bugatti ?

- Non, mais comment vous le savez ?

La formulation est à nouveau étrange, mais Alléluia !

Je lui lis l’annonce, il est ahuri !

- Mais ça date de la guerre votre affaire ? oui je me souviens !

 

Et il me raconte  (avec des flous, ça date de trente ans…) son beau-père est décédé, ils héritent de la propriété, en Sologne et dans un garage, la Bugatti. Lui collectionne les instruments de musique et, à ce titre, est abonné au Collectionneur Français. Il a droit à une annonce par an et use de ce droit…

- Nous avons failli devenir fous ! ça sonnait trois fois par jour !... et surtout, ils me faisaient tous une proposition deux ou trois fois moins élevée que l’expertise… Du coup, ils m’ont énervé et nous l’avons gardée.

- Vous l’avez toujours ?

- Oui !

- Et… vous êtes vendeur ?

- Pourquoi pas !

- Comme vous dites … mais quel modèle ?

- Ah ça !... elle est décapotable  et en très bon état, sur cales, vidangée, c’est bien tout ce que je peux vous en dire, ah si, elle est bleu et noir !...

 

Comme je ne savais pas ce que c’était, je ne fis pas allusion au prix. Nous convînmes d’un rendez-vous sur place en Sologne quelques jours plus tard.

C’était une 57 carrossée en cabriolet par Gangloff dans un état d’origine remarquable.  Nous étions arrivés sur place, les poches bien garnies, avec Pierre, bugattiste qui rêvait de le redevenir…

- Alors, parlons de ce qui fâche souvent : combien en souhaitez-vous ?

- Ma foi, vous savez, j’ai 95 ans, donc ce que vous me donnerez, ce sera d’une façon ou d’une autre prochainement pour l’État… Alors, j’ai fait le calcul des frais de parking depuis 30 ans : il avait sorti de sa poche un petit papier, chaussé ses lunettes : 368 mois à 100 francs par mois ça fait 36 800 Francs, allez, 35 000 pour arrondir !

Le gueuleton du retour ne fut pas triste !

Petite précision : le « parking »  était chez lui !…