Par Patrice Vergès. En rachetant la filiale française du constructeur américain Ford fin 1954, Simca achetait bien plus que son usine de Poissy, il héritait d'une gamme de modèles conçus aux USA. Produite de 1958 à 1961, la Simca Chambord était la plus américaine des voitures françaises.
Immédiatement, Bernard m'a confié le volant de sa Simca Chambord. Près de 25 ans que je n'en avais pas conduite une ! J'ai retrouvé le fabuleux glougloutement du moteur à 8 cylindres en V et surtout, derrière cette planche de bord où tout évoque le Cinémascope, cette extraordinaire visibilité panoramique perdue sur nos voitures modernes. Pigozzi le patron de Simca aimait le clinquant. Trouvant le dessin de la Versailles produite de 1955 à 1957 trop sobre, il avait demandé au styliste indépendant Luigi Rapi de lui dessiner une carrosserie plus ostentatoire. Ce qui fit avec talent, l'Italien Rapi en réalisant un subtil cocktail entre le style italien et américain notamment en adoptant des ailerons arrière plus agressifs allongeant la malle de 20 cm (4,75 m). A cette époque, la puissance sociale d'une voiture se cachait dans la longueur de la malle. Plus elle était longue, plus on pouvait accueillir de bagages signifiant qu'on voyageait beaucoup et donc qu'on était riche !
Un petit V8 d'origine américaine
Las, Pigozzi ne s'intéressait guère à la mécanique et préférait investir dans une nouvelle carrosserie que dans un moteur plus moderne. Même en 1958, lorsque la Chambord et sa sœur la Beaulieu moins richement équipée, ont vu le jour, son petit 8 cylindres en V de 2351 cm3 avouait des rides au coin des bielles.
Né en 1932 aux USA, sa conception à soupapes latérales lui offrait un rendement médiocre et une forte consommation (12 à 14 litres). Mais avec 84 ch SAE, la Chambord était, quand même, la voiture française la plus puissante devant la DS ou une 403 et la plus rapide avec 145 km/h. Hélas, son vieux V8 était bridé par une boîte de vitesses à trois rapports seulement mal étagée et hors d'âge avec une première pas synchronisée. Je pousse la deuxième à 80 et déjà le bon vieux V8 Aquilon renâcle en vibrant. Simca proposait une option assez coûteuse nommée Rushmatic, sorte d'overdrive rajoutant un 4eme rapport qui le rendait bien plus agréable. En revanche, sachez que la Chambord tenait fort bien la route et freinait fort grâce à ses roues de 15 pouces qui avaient autorisés des gros freins plus efficients que la Versailles n'avait pas.
De père en fils
Bernard est passionné par les Ford Vedette V8 dont il possède 9 exemplaires toutes en excellent état de marche. Celle qu'il préfère, c'est la 1951 à dos rond qui symbolise le mieux, à ses yeux, les américaines d'avant-guerre qu'il adore. En fait, il a été élevé au bruissement du V8, puisqu'enfant, il l'écoutait déjà sur la banquette arrière des Matford (construite chez Mathis puis à Poissy) puis Simca Trianon paternelles. Son père n'a roulé qu'en Ford V8 française. Bernard a pris le relais en achetant toutes les Ford produites par Poissy, au fil des années. Tout le séduit dans ces voitures soigneusement garées dans des garages chauffés et climatisés. Pas question d'en vendre une, ce n'est pas le genre à spéculer. Il échange de modèles toutes les semaines pour retrouver le plaisir de les conduire avec en fond sonore ce bruit sublime que seul un V8 peut émettre. Il n'a pas peur de participer à de nombreuses sorties du dynamique Club Vedette V8 et parcourir plusieurs milliers de kilomètres annuellement au volant de ses Ford.
Prolongée au Brésil
La gamme de la Beaulieu, Chambord et Présidence (avec roue de secours extérieure) n'a été produite que quatre ans à moins de 60 000 exemplaires. Elle a été frappée par la fermeture du canal de Suez qui fit détoner le prix du carburant puis de la vignette coûteuse pour une 13 cheval fiscaux. En 1961, face aux ventes qui s'étaient écroulées, Pigozzi fit transférer ses chaînes de montage (carrosserie faite chez Chausson) au Brésil où la Chambord fut construite jusqu'en 1969. Elle bénéficia des rajeunissements mécaniques refusés en France notamment des culasses à soupapes en tête et une boîte à 4 rapports pour mieux exploiter la puissance de son V8 poussé à plus de 140 ch !
Par son aspect très ostentatoire par rapport à une Peugeot, on disait que cette voiture faisait " nouveaux riches " ce qui n'était pas un compliment. Aujourd'hui, elle est le reflet d'une époque où on n'avait pas honte d'afficher sa réussite. Déjà en 1958, une Chambord détournait des yeux envieux. Aujourd'hui, ce sont des yeux surtout admiratifs qui la suivent avec, dans les oreilles, le timbre soyeux de ses 8 cylindres.
L’avis des Petits Observateurs
1 commentaire au sujet de « Simca Chambord : la vie de château au prix d'une Clio »
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Quand j'étais môme, il y avait une "gueguerre" automobile dans mon immeuble à Puteaux. Au 3e étage, M. Poirotte qui roulait en Chambord vert d'eau. Il en était très fier... Au 1e étage, M. André et sa R16 flambant neuve. Deux conceptions radicalement différentes et une différence d'âge certaine entre ces deux hommes... Ce combat de coq m'amusait beaucoup. Moi, j'adorais la 4L de ma mère... en rêvant de Jaguar XJ6.
Merci Patrice !
Lundi 20 décembre 2021 à 08h47