Par Patrice Vergès. L'histoire de la 2 CV s'est transformée au fil des années en véritable légende un peu différente de la réalité d'hier. C'est bien connu quand la légende est plus belle que la réalité, il faut écrire la légende. Écornons la un peu....
La 2 pattes " comme on la surnommait affectueusement offre aujourd'hui un capital sympathie qui ne fait que croître d'années en années avec une histoire souvent idéalisée. Comment est-elle passée de son rôle de voiture à celui d'icone à 4 roues ? En fait, la 2 CV a connu plusieurs vies et plusieurs clientèles. Entre ses débuts il y a 70 ans, sa fin de carrière il y a près de 20 ans et aujourd'hui, ses contemporains ne sont plus les mêmes et n'affichent plus du tout le même affect envers cette voiture qui n'était au départ qu'un outil pour se déplacer avant de devenir cultissime comme de nos jours. Petits retours en arrière.
Qu'elle est moche !
Dans les années 50, une 2 CV ne faisait pas autant rêver. Son lancement en 1948 avait suscité pas mal de polémiques et de scepticisme autour de sa laideur, de sa sous-motorisation et de sa finition inexistante même si on louait son étonnant confort et son économie d'usage. Il suffit de lire le bilan de l'essai datant de 1951 signé par le journaliste André Costa dans l'Auto Journal (voir le fac-similé.) pour mieux s'en rendre compte. On lui préférait la 4CV Renault plus brillante et plus amusante à conduire et guère plus chère. La 2 CV n'était qu'un outil motorisé ou si vous préférez "4 roues sous un parapluie". Pour Citroën en quête d'argent pour développer la DS, il n'était pas question d'investir dessus le moindre centime malgré les critiques des utilisateurs. Le prochain essai d'un modèle 1958 sera significatif à cet égard.
Il faut savoir que la 2 CV a toujours souffert d'un outil de production inadapté, construite dans les usines trop étriquées de Levallois. Elle a été victime de cadences de production trop faibles née d'une terrible erreur de marketing de la part de ses dirigeants. Pensée et destinée au monde tertiaire et rural avant la guerre (traverser un champ sans casser des œufs), elle attira surtout une clientèle urbaine et familiale dans les années 50. La complexité de son montage (plate forme) et également de son moteur ne permettaient pas d'énormes cadences comme celles de sa concurrente au losange.
Succés ou demi-échec ?
Ses démesurés délais de livraison qui dépassèrent 2 ans dans les années 50 sont imputés aujourd'hui uniquement au succès qu'elle rencontrait. Pas tout à fait. Ils sont surtout le fait d'une production bien trop faible (53 000 berlines en 1954). Pendant ce temps, sa grande concurrente la 4 CV était livrables sous 6 mois, produite à près de 200 000 unités par an grâce aux machines transferts que Renault nationalisé avait achetées... avec nos impôts. Avantage qui avait provoqué la colère de Pierre Boulanger, patron de Citroën qui avait initié la naissance de cette voiture au coté de Pierre Michelin. Les deux hommes connaîtront la même tragique destinée, victimes d'un accident de la route entre Paris et Clermont-Ferrand.
Aujourd'hui, on évoque son fabuleux succès. Soit. Elle aurait largement mérité mieux que se 5 millions d'exemplaires produits en 42 ans. Presque un échec comparé à la VW Coccinelle qui a dépassé les 20 millions d'unités. Par son intelligence, son minimalisme, sa faculté d'adaptation, la 2 CV aurait dû conquérir le monde comme le fit la Ford T avant-elle. Mais victime de la gestion étriquée de ses dirigeants de l'époque notamment Michelin et Pierre Bercot, elle est passé à coté de la destinée mondiale qu'elle aurait mérité avec davantage d'investissements.
L'immobilisme en marche
A la fin des années 60, les ventes de la 2 CV s'étaient sérieusement tassées sous la concurrence de la Renault 4 plus moderne carrément pompée sur la 2 CV. Mais en mieux. Tant copiée que le patron de Citroën, Pierre Bercot envisagea en 1961 d'intenter un procès à Renault pour plagia.
En 1968, les ventes de la berline Citroën avaient chuté à 57 000 unités opposées à 336 000 Renault 4 ! Victime d'un manque évident d'évolution depuis 1948, la Citroën n'intéressait plus que quelques retraités passéistes. Et encore, c'est sous l'impulsion de la Renault 4 née fin 1961 qu'elle avait évolué sous la forme d'une puissance accrue de près de 50 % (18 CH SAE) et d'essuie-glaces enfin électriques et, luxe du luxe, d'une jauge à essence ! Jusqu'à cette époque depuis 1948, excepté une cylindrée poussée à 425 cm3 en 1954, elle n'avait subi qu'un minimum d'évolutions.. D'ailleurs Citroën avait décidé de la remplacer par la Dyane lancée fin 1967 très étroitement dérivée (trop) de son aînée.
La 2 CV redevient jeune
Puis tout bascula. Au début des années 70, le directeur des relations publiques de Citroën, Jacques Wolgensinger eut l'idée de s'inspirer de la communication utilisée par VW pour vendre sa Coccinelle. Malgré son âge et sa conception très datée, grâce à une habile campagne de communication, la Cox séduisait la jeunesse ce qui était loin d'être le cas de la Citroën qui plaisait surtout au curés.
Avec une publicité plus jeune et tonique signée Jacques Segala (et surtout Robert Delpire), enfin de nouveaux coloris plus pimpants que le sempiternel gris, des phares rectangulaires en 1974 et surtout des raids organisés au bout du monde (Paris Persépolis Paris en 1971) destinés en priorité à la jeunesse, la 2 CV prit un visage plus culturel et moins daté. Fière de sa singularité, elle séduisit justement ceux qui détestaient la bagnole. De moche, elle est devint presque séduisante. De démodée, elle devient à la mode en se situant en dehors du temps. Du coup, ses ventes remontèrent dopées par la crise de l'énergie de 1974 où elle frôla son record de production de 1966 avec 163 000 exemplaires sans oublier les 54 533 fourgonnettes.
De Bourvil à James Bond
Ce chef d'œuvre de minimalisme automobile devint une sorte de voiture culte symbolisant la France, l'accordéon, le béret basque et la baquette de pain. Après avoir séduit les hippies dans les années 70 et Bourvil dans le Corniaud, la fameuse sœur Clotilde dans la série "les gendarmes", James Bond (Rien que vos yeux en 1981 avec Roger Moore et Carole Bouquet) qui donna lieu à une série spéciale 007 percée de faux trous adhésifs, la 2 CV se mua doucettement en mythe. Sa popularité retrouvée fut appuyée par de nombreuses séries spéciales qui ne firent que renforcer son image cultivant la différence même si ses cadences de fabrications ne cessaient de baisser au fil du temps. Devenue iconique, sa légende se construisit en s'enjoliva, découverte par une jeune génération qui inventa une vie qui aurait dû aller avec.
Une giclée de sang !
J'avoue ne pas avoir perçu ce nouvel engouement autour de la 2 CV. D'abord en tant qu'ancien utilisateur d'un modèle 1960 comme seconde voiture pour mon ex et ensuite comme journaliste. En juillet 1988, j’essayai une Charleston désormais construite à Mangualde au Portugal dont la fabrication était vraiment salopée. Les strippings qui couraient le long de la carrosserie n’étaient pas alignés, le pare-choc arrière n’était pas droit et surtout le bloc du dégivreur en plastique était coupant comme du verre. Au premier tour de volant, une giclée rouge balaya l’étroit pare-brise. Je n’ai pas réalisé immédiatement que c’était du sang jaillissant de mon index. Il avait été profondément coupé par ce bloc plastique situé trop près du volant. On m’a soigné car la blessure était profonde pendant que l’atelier collait une plaque de caoutchouc moussé sur le dégivreur. Je suis reparti de la concession où j’avais été chercher cette voiture prêtée avec une douleur vive au bout du doigt emmailloté dans un gros pansement m’obligeant à conduire l’index en l’air. En écrivant ces lignes je viens d’examiner à la loupe le bout de mon doigt ; la cicatrice se devine toujours.
« Le passé décomposé »
L’essai publié dans AutoHebdo fut plutôt dur intitulé « Le passé décomposé ». J’avais désacralisé le mythe déjà bien ancré. « On n’a pas droit de parler ainsi de la 2 CV » me réprimanda, le ton culpabilisateur l'attaché de presse de Citroën. Elle était simplement une voiture d’un autre temps. D’ailleurs, les acheteurs ne se pressaient plus beaucoup pour l’acheter. Cela dit, pour être franc, tout son fascinant capital sympathie qu’elle dégageait m’avait un peu échappé en ne retenant que ses qualités intrinsèques qui s'étaient un peu diluées au fil du temps malgré tout l'indéniable respect que je lui portais. Rendez-vous bientôt pour l'essai d'une 2 CV 1958 " dans son jus" puis l'une des ultimes versions 1990.
L’avis des Petits Observateurs
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