Souvenirs d'Autos • Citroën

Souvenirs d’Autos (392) : Chez Citroën en 1965

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Thibaut Chatel (Commandant Chatel, Petites Observations Automobiles)

Une rubrique pilotée par le Commandant Chatel. C’est Gérard Rossini qui m’envoie ce magnifique souvenir. Un grand merci à lui.

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Vendredi 28 octobre 2022


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Photo Thibaut

Thibaut Chatel Petites Observations Automobiles - Commandant Chatel

Alias "Commandant Chatel"  de POA.

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Grâce à POA, je suis en train de prendre conscience du fait que je suis probablement l’un des derniers à pouvoir témoigner de l’ambiance qui régnait dans une grande usine automobile. En l’occurrence Citroën, quai de Javel, dans le 15ème arrondissement de Paris,

Mon Père était depuis 1938 employé par la firme aux chevrons. Entré comme ajusteur-outilleur-régleur (les ouvriers chargés de veiller au bon état des machines), il avait grimpé les échelons, et, bon mathématicien, avait fini par être nommé chef du service contrôle outillage, service qui formait notamment tous les contrôleurs, chargés chacun de s’assurer, la plupart du temps par sondage (une pièce sur 100, 200, 500 ou 1000), qu’elle était dans la norme admissible des tolérances de cotes.   

Pour la carrosserie, on parlait en dixièmes, pour les pièces mécaniques lambda en centièmes et pour les éléments essentiels du moteur (vilebrequin, bielles, pistons et soupapes) en microns !!

Un petit privilège, ou plutôt une sorte d’avantage acquis qui perdure dans tous les secteurs, à juste titre je crois, permettait aux enfants des collaborateurs d’être prioritaires dans l’attribution des stages d’été, sous réserve d’un livret scolaire révélateur d’une motivation étayée et d’une filière cohérente. L’été 1965, je terminais une math-sup préparatoire aux Arts et Métiers et je fus donc employé durant le mois de juillet Quai de Javel.

La première surprise fut de me retrouver affublé de la même blouse grise qu’au Lycée Jules Ferry de Versailles, blouse spécifiquement portée par les internes au Lycée, pour leur éviter si possible les tentations de la vie extérieure. 

Chez Citroën, c’était un signe extérieur de hiérarchie, et les chefs d’ateliers ou plus n’apparaissaient jamais autrement accoutrés ! C’était un peu intimidant les premiers jours (j’avais dix-huit ans) mais je m’y étais fait après la curiosité de tous les ouvriers et chefs d’équipe, en bleu eux… 

J’avais été « affecté » à un poste précis : un tour automatique vertical d’usinage des tambours de frein, servi par un immense sénégalais costaud et rigolo. Ces tambours étaient communs à plusieurs modèles de la marque, utilitaires et tourisme. C’était une machine à la pointe de la technologie et je pense qu’on ne m’avait pas mis là par hasard. Cela dit, mon rapport de stage concernait l’atelier tout entier et j’avais tout loisir de vadrouiller dans l’usine et de m’entretenir avec tout le monde sous réserve de ne pas perturber la production. Et quand je parle d’atelier et d’usine les termes ont leur importance : le seul bâtiment aussi vaste dans lequel j’étais précédemment entré était le plus grand hall d’exposition de la porte de Versailles…pour le salon de l’Auto ! C’était gigantesque, haut de plafond (ou plutôt de verrières en W à l’envers) et le vacarme était assourdissant, entre les machines, les tapis-roulants et les véhicules à wagonnets indispensables à l’approvisionnement à certaines étapes de fabrication. Et puis cette odeur que je n’ai plus jamais sentie, mélange de métal usiné, meurtri, d’huiles, de lubrifiants échaudés ou brûlés, de matières multiples parfois répandues et mélangées…

Une immense ruche grouillante et formidablement organisée ! La gageure étant qu’un incident quelconque (il y en avait plusieurs par jour) ne devait pas, si possible, affecter la production quotidienne de l’ensemble. Je n’ai pas hélas retrouvé de copie de mon rapport, mais plusieurs centaines de personnes, peut-être plusieurs milliers s’affairaient simultanément dans ce bâtiment qui « tournait H24 » car on y pratiquait les trois huit…

Je suis ainsi un des rares de la famille a avoir vu mon père occupant son bureau de chef dans l’usine…

Le souvenir que j’en conserve est celui d’une bonne humeur générale malgré la répétitivité des tâches : j’avais questionné un des plus anciens qui serrait le même écrou du même boulon depuis… 32 ans !! A ma question sur la lassitude, il avait répondu par une métaphore sur les bergers qui font la même chose toute leur vie en pensant au passé… ou à l’aveni … Il avait commencé à serrer cet écrou de Traction, il serrait ce même écrou pour des DS ! 

Cette répétitivité était aussi illustrée par la formidable ingéniosité que développait par exemple les « presseurs ». Des massicots à tôle d’une force de 120 tonnes qui coupaient des tôles de près d’un millimètre comme une fine tranche de jambon obligeaient à des mesures de sécurité drastiques : la tôle en place, le presseur devait se retourner et presser des deux pouces sur deux commandes séparées de 80 centimètres pour être dans l’impossibilité de faire autrement qu’avoir la plus petite partie du corps exposée à la lame ; et bien ils passaient leur temps à inventer les trucs les plus tordus pour avoir une main libre ! adhésif, barres, tendeurs de bicyclette, ressorts et j’en passe ! tout était bon ! ça m’a été raconté car l’approche d’une blouse grise déclenchait la dissimulation immédiate du dispositif ! 

Et puis, comme les femmes avaient fait leur apparition à l’usine dans les années 1950, il y avait les idylles qui se nouaient légitimement, et leurs jalousies inhérentes. Elles occupaient les postes moins pénibles notamment ceux du contrôle qui demandaient plus de précision et de délicatesse. Elles avaient obtenu de pouvoir travailler en blouse blanche et d’avoir un vestiaire séparé.
J’ai mis quelques jours à comprendre leur insistance à me faire regarder dans leur microscope par-dessus leur épaule ; j’ai commencé par mettre ça sur le compte de leur « chef », en l’occurrence mon père, avant de m’apercevoir que, beaucoup plus prosaïquement, on était en juillet, elles ne portaient rien sous leur blouse et ça les amusait beaucoup d’émoustiller le jeune fils du chef plus que la voisine…

Cette rubrique est aussi la vôtre !

Faites comme Gérard et racontez vos anecdotes au Commandant Chatel par mail (thibautchatel@icloud.com), il se chargera de les publier. N’oubliez pas que pour « Souvenirs d’Autos » nous cherchons de l’anecdote, de l’humain, de l’humour, de l’émotion. 

On oublie un peu l’arbre à came et le Weber double-corps… Et si possible, joignez à votre histoire des photos…. On adore ça chez POA !

Merci.

L’avis des Petits Observateurs

3 commentaires au sujet de « Souvenirs d’Autos (392) : Chez Citroën en 1965 »

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Quel bel apprentissage que les tolérances de cotes, je parierai que c'est précisément de là que nous vient le terme "décolletage"... 😉

Vendredi 28 octobre 2022 à 14h22

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Je n'ai jamais travaillé en usine mais j'ai connu cette espèce de joie au travail, cette ambiance joyeuse, voir ludique. Et dans les souvenirs de mes débuts, ceux qui s'approchaient de la retraite ne semblaient pas tant que ça s'en réjouir.
Merci pour ce joli souvenir. Pour un fils, se rendre sur le lieu de travail de son père, c'est quelque chose.

Vendredi 28 octobre 2022 à 17h05

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