Par Patrice Vergès. Avant de conduire l'une des ultimes 2 CV datant de 1990, continuons notre saga des 70 printemps de cette voiture avec l'essai d'un modèle de 1958 "dans son jus " comme on dit.
Nous sommes fin 1958. La 2 CV souffle ses dix bougies produite cette année à prés de 164 000 exemplaires si on compte les fourgonnettes sous traitées chez Panhard. La version AZLP (L pour luxe et P pour porte-malle arrière) coûte plus de 471 000 anciens francs clés en mains, taxes comprises. Elle n'est pas la voiture française la moins chère puisque la nouvelle Vespa 400 francs et la 4 CV Affaire sont proposées à des prix inférieurs. Si je vous précise que le smicard gagnait moins de 30 000 anciens francs par mois fin 1958, cela vous donnera une relative idée du prix de la 2 CV en 2018 estimé entre 9 000 et 11 000 euros environ.
Peu d'évolution depuis 1948
L'absence de carte grise et du Carbone 14 ne nous ont pas permis de dater exactement ce modèle dit PO (Pays d'Outre-mer). Il se distinguait de la normale par son châssis renforcé, (celui de la fourgonnette), pare-chocs avant tubulaire plus robuste, filtre à bain d'huile plus quelques spécificités. Signalons qu'il n'a jamais été restauré et ne roulait plus depuis 1999. Les grandes roues de 16 pouces seulement à l'avant et son immatriculation d'origine, la situeraient plutôt de fin 1958. Depuis 1954, un 425 cm3 se cache désormais sous le fragile capot à nervures, quelques enjolivures en alu l'égaillent depuis 1957 et une grande lunette arrière et un porte-malle et un embrayage centrifuge très pratique qui évite de débrayer en ville l'ont quelque peu rajeunie en 1958. Trois fois rien en dix ans de vie pour être plus précis car les premières 2 CV n'ont été livrées qu'en 1949 !
Il y a une vingtaine d'années que je n'avais pas conduit de 2 CV. Mais c'est comme la natation ou le vélo, sa conduite ne s'oublie pas. On s'imagine être un joueur de trombone en manœuvrant le levier de vitesses coulissant de la boîte dont le poignet conserve encore dans sa chair le souvenir du dessin de la fameuse grille. Celui qui me l'a confiée m'a raconté une anecdote amusante. Quand il était jeune, il roulait en R4L 3 vitesses. Un jour, on lui a prêté une 2 CV avec laquelle il a effectué un long parcours routier en croyant qu'elle ne comptait que 3 rapports comme sa R4 L. j'imagine le potin du petit 2 cylindres dans l'habitacle à fond de 3eme sur des centaines de kilomètres !
La voiture qui tangue
J'ai retrouvé avec émotion cette sonorité aigrelette unique qui fait qu'on reconnait une 2 CV entre 1000 voitures. Bruit qui est l'air poussé par la turbine de refroidissement qui vibre en glissant entre les ailettes des cylindres. Ensuite, lorsqu'on monte dans une 2 CV, surtout si on est (trop) lourd comme moi, elle penche étonnamment du même coté. On se croirait descendre sur un petit bateau amarré à quai. C'est ce tangage qui déroute le plus aujourd'hui lorsqu'on roule. Sa suspension hyper-souple donne l'impression qu'on va verser (un mot d'avant) dans les virages pris à bonne allure.
Le modèle essayé n'est pas encore équipé de joints homocinétiques de cardans apparus en 1966. On sent de curieuses et désagréables réactions dans le volant et dans les bras lorsqu'on démarre les roues tournées avant que de nombreuses vibrations envahissent l'habitacle où le moteur se fait joyeusement entendre en jappant.
Prête à décoller
Que dire de sa conduite ? Une 2 CV ne se conduit pas comme une autre voiture. La 425 cm3 c'était autre chose que la 375 cm3 puisqu'elle acceptait de flirter avec les 80 km/h en plat pour frôler les 100 km/h en descente. A cette allure démentielle, la capote enflée par l'air qui rentrait un peu partout, on avait l'impression qu'elle allait décoller avec les glaces latérales qui s'ouvraient à cause de la dépression d'air en battant comme des ailes d'oiseau. Ce, dans le hurlement du petit flat-twin frôlant les 5 000 tours. En revanche, en côte, surtout en charge, la 2 CV était moins brillante victime de sa mécanique qui s'essoufflait très vite Les accélérations sont très faibles et avant de l'engager sur une route, j'ai bien vérifié qu'il n'y ait personne à droite ni à gauche. Je ne vous parle pas de la sécurité passive en 2 CV avec ses portes en papier. Vous avez vu Le corniaud ? La 425 parcourait le 1000 mètres départ arrêté en 60 secondes. On n'imagine pas ce que c'est aujourd'hui 60 secondes où la moindre urbaine en exige 35. On dirait que le temps s'est arrêté.
Froide en descente, chaude en montée
Que rajouter ? Sur la 59, le siège fixé par des crochets avait tendance à partir en avant lors des freinages brusques. Si la 2 CV était une bonne freineuse, il fallait appuyer avec un pied de scaphandrier sur la pédale de freins pour s'arrêter. Du coté des défauts déjà remarqués en 1958, on critiquait la médiocre visibilité, la mauvaise position de conduite trop engoncée sur des sièges trop souples à lanières, la mauvaise idée des portes suicides qui fermant mal s'ouvraient parfois en marche. C'était ça la 2 CV !
Elle avait parfois du mal à démarrer les matins frais à cause de sa batterie 6 volts qui équipaient encore de nombreuses voitures en 1959. L'hiver, il faisait toujours froid en 2 CV qu'on conduisait généralement avec des gants qui glissaient sur le grand volant en métal glacial. Il a fallu attendre 1957 pour qu'elle offre un dégivrage, simple morceau de tôle pliée prenant l'air chaud autour des cylindres. En montée, quand le moteur chauffait, une douce chaleur envahissait l'habitacle pour devenir glaciale en descente quand on levait le pied. La visibilité déjà pas géniale par temps clair devenait nulle sous la pluie à cause des essuie-glaces mécaniques entraînés par.... le câble du compteur. S'ils devenaient fous en descente, en revanche, ils ne fonctionnaient pas en ville, sauf à la main.
Ses défauts faisaient partie de son charme
La 2 CV cachait aussi beaucoup de qualités. Elle était mécaniquement très robuste, économique avec une conso moyenne de 5 à 6 litres ce qui n'était pas beaucoup il y a 60 ans. Elle était confortable, suffisamment vaste pour accueillir 4 personnes, pratique avec ses deux sièges qui s'enlevaient et une malle de bonne capacité, découvrable et jamais chaude l'été grâce à son aérateur central et sa capote. Elle se révélait redoutable sur les chemins creux ainsi que sur la neige grâce à ses maigres pneus de 125 de large en ignorant la pluie et les routes glissantes forte d'une adhérence exceptionnelle. Sur routes sinueuses en descente, une 2 CV bien conduite était difficile à dépasser et il fallait patienter jusqu'à la prochaine côte où sa vitesse s'écroulait pour la doubler. Tout ce qu'on aurait reproché à une autre voiture, on l'acceptait avec la 2 CV dont les défauts faisaient partie de son charme. La raison ? Elle offrait plus qu'on lui demandait.
Il faudra encore patienter encore jusqu'en 1963 pour qu'elle bénéficie de profondes améliorations puis 1970 pour qu'elle adopte de nouvelles mécaniques plus toniques qui l'emmèneront jusqu'à la fin en 1990. C'est pour la prochaine fois, si vous le voulez bien !
L’avis des Petits Observateurs
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