Par Patrice Vergès. Pour terminer notre saga, nous prenons le volant d'une des ultimes 2 CV fabriquée dans les dernières semaines de sa longue vie qui s'est achevée le 27 juillet 1990 au Portugal où sa production avait été transférée.
Au coté de la rivière Dordogne qui coule sereinement le long de la berge, j'attends Fred Seyrat, ami et membre du gouvernement de POA. Nous avons rendez-vous pour essayer la 2 CV de son père qui, hélas, n'a pu se joindre à nous. Mes oreilles l’entendent arriver bien avant de la voir déboucher d'une épaisse rangée d'arbres centenaires. Sa sonorité unique au monde est imprimée dans notre mémoire auditive. Rouge Valleluga, couleur vue chez tous les modèles des marques PSA, sa 2 CV semble presque neuve puisqu'elle n'affiche que 9160 km au compteur parcourus en 28 ans de vie.
Puissance triplée en 40 ans !
On s'embrasse et devant mon regard ébahi, Fred m'explique. " Mon père voulait une 2 CV car il savait que sa production allait s'arrêter alors qu'il n'avait jamais eu cette voiture dans sa vie de conducteur. Immatriculée en août 90, il l'a utilisée jusqu'aux années 2000 avant de la laisser au garage. Quand je viens le voir, je la fais tourner et l'entretiens avec un copain mécanicien."
Il s'agit d'un modèle Spécial à la finition bien plus dépouillée que la Charleston qui était la plus vendue à la fin. Fait cocasse, le millésime 90 bénéficie d'améliorations que Citroën a refusé toute sa vie à la 2 CV. Comme elle ne répondait plus aux nouvelles normes sonores, uniquement ce millésime a bénéficié d'une insonorisation plus sophistiquée autour du moteur équipé de couvres-culbuteurs et d’un carburateur chargés d'étouffer les bruits mécaniques. On ne va pas rentrer dans les boulons-rondelles mais la dernière grosse évolution de la 2 CV datait tout de même de 1970 avec l'apparition de mécaniques 100 % inédites en 435 cm3 et 602 cm3 empruntées à la Dyane et Ami8. Les dernières 2 CV sont, en fait, des 3 CV puisqu'elles seront vendues qu'en motorisation 602 cm3 donnant presque 30 ch DIN. Soit plus de trois fois la puissance des première 375 cm3 !
Curieuse position fœtale
Après avoir fait le tour où l'on découvre la finition très succincte de la Spécial dans l'esprit de celle des années 60, Fred me passe le volant. Comme on se porte bien tous les deux, nos coudent se touchent. Malgré nos tailles, il y a un bel espace au dessus de nos têtes. Quand Pierre Boulanger le père de la 2 CV montait dans le prototype, il conservait toujours son chapeau vissé sur la tête. De crainte qu'il le fasse tomber, ses ingénieurs avaient accordé une importante et inutile garde au toit que j'ai retrouvée dans le Berlingo essayé le lendemain. Le plus surprenant au sein de cet étroit poste de pilotage reste cette proximité avec le pare-brise trop proche des yeux et des mains (mauvais souvenir) et de la position fœtale du corps replié sur soi-même qui exige de conduire la jambe droite repliée pour atteindre l'accélérateur planté presque au milieu du plancher.
Avec 115 km/h en pointe et les 1000 mètres en 44 secondes (66 secondes pour les premières 375), je ne vais pas vous laisser croire que la 2 CV 1990 est une GTI. Pourtant, elle s'intègre assez bien dans le flot de circulation si l'on n'a pas peur de monter les régimes. Avec son carburateur double corps, son 602 cm3 était presque un moteur sportif acceptant de flirter avec les 7000 tr/mn dans un beau fracas sonore. Il n'avouait pas la robustesse des anciens 425, il est vrai. Le freinage confié à des freins à disque (en sortie de boîte) depuis 1981 est puissant à condition d'appuyer fort sur la pédale de frein. Ce n’est pas le cas de ce damné clignotant à la commande fragile comme du cristal qui ne revient pas automatiquement.
En revanche, la direction a bien vieilli et durcit terriblement en virage et il faut tirer dessus si on ne veut pas aller tout droit. La 2 CV était une méchante souvireuse. Le millésime 90 avait conservé les qualités de confort des précédentes grâce à sa fameuse suspension qui balançait moins depuis qu'elle était équipée d'amortisseurs refusés pendant près de 20 ans aux premières versions. Ses sièges minces simplifiés par rapport à la Charleston sont encore montés sur des lanières en caoutchouc. " A la livraison, il manquait une lanière de fixation en caoutchouc sur deux sur la banquette arrière ! " précise Fred. Les 2CV portugaises sont réputées pour leur finition désinvolte comme j’avais pu le remarquer en son temps.
Nous l'avons décapotée et la 2 CV retrouve toute sa magie. Celle de rouler, coude à la portière pour trouver plus d'aise, avec le bruit du vent qui couvre celui de la mécanique qui hulule lorsqu'on soulage l'accélérateur. Le petit 2 cylindres dégage encore un tonnerre de décibels à l'accélération malgré l'insonorisation qui, au contraire, le rend presque inaudible au ralenti. À son volant trop plat, à travers le minuscule pare-brise, on a la sensation d'avaler la route par une succession de bons souples en ingérant ses bosses et le creux avec une surprenante sensation de vitesse qui ne se vérifie pas lorsqu'on regarde le minuscule compteur trapézoïdal .
Comparer, ce n'est déjà plus aimer.
Je viens de comprendre mon mauvais jugement de 1988 à l'égard de cette voiture. A cette époque, j'essayais près d'une cinquantaine de modèles par an et je l'avais comparée à d'autres plus récentes évidemment à son désavantage. Colossale erreur ! Je n'avais pas compris que la 2 CV était incomparable. Comparer, ce n'est déjà plus aimer. Elle avait conservé son ilot de défaut dans un océan de qualités.
La photo prise par Fred m’a beaucoup fait gamberger. Pourquoi, ce bonheur réciproque, Fred et moi, serrés dans son petit habitacle ? Pourquoi ces sourires de gamins ? Pourquoi, ces regards heureux des personnes croisées à sa vue ? La 2CV a rendu des gens heureux car elle leur a donné la liberté et une certaine idée du bonheur. Le comble pour une voiture considérée comme moche qui a embellie la vie de millions de personnes !
L’avis des Petits Observateurs
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