Le paquebot France, Le Concorde, La Citroën SM Maserati. Ce trio terre, mer, air, c'est la France qui veut aller vite, qui croit en demain, au progrès. La France Pompidoliènne qui consomme et qui ne se pose pas de questions. La France qui y croit… Il y a 44 ans.
La Citroën SM résume cet esprit d'indépendance français. Cette volonté d'être différent, coûte que coûte. Cette envie de marquer les esprits en allant jusqu'au bout d'une démarche. Le parallèle avec le Concorde est évident. Superbement beaux, génialement avant-gardistes, totalement uniques, mais complètement inadaptés aux réalités du marché, ce foutu marché ! Et pourtant quel panache.
L'histoire de la SM débute en 1968, quand Citroën décide de se "payer" Maserati. L'italien connaît des difficultés financières mais jouit d'un prestige quasi égal à celui de Ferrari, notamment avec la sculpturale Ghibli. À l'époque, la firme aux chevrons truste les voies de gauche avec sa DS, mais rêve de plus haut sommet. Ceux du luxe automobile. Ce fameux luxe à la Française, que nous exportons si bien, mais que nous n'arrivons plus à décliner sur quatre roues depuis l'après-guerre. Facel Vega vient d'en faire la douloureuse expérience en laissant la France orpheline de voiture de prestige. Au quai de Javel on planche depuis quelques années sur un projet de super DS, pour créer un coupé GT 2+2, puissant, racé et technologiquement avancé. Mais on bute sur les motorisations. Manque de puissance, manque de noblesse, manque de prestige. Le rachat de Maserati crée le déclic. On demande à l'ingénieur en chef, senior Alifieri, de concevoir un moteur digne du pedigree de l'engin. Il tronçonne alors deux cylindres du V8 de la Maserati Indy et livre en deux mois un V6 de 170ch. Le projet SM (de S pour super DS et M pour Maserati) va être conçu, essayé et réalisé en seulement 18 mois, premier record.
Mars 1970, Genève. La SM trône sur son stand, tournant doucement devant des visiteurs perplexes. Inclassable, incomparable. L'ambiance aux alentours c'est plutôt 404 et Renault 16. Alors, imaginez le choc, que représente la face avant : 6 phares "cibie" sous glace, entourant la plaque minéralogique. Deux sont directionnels. Quasiment de la science-fiction. Puis l'œil est entraîné par le long capot lisse, juste percé d'une petite entrée d'air avec le double chevron chromé, en haut à gauche. De profil, l'auto s'étire avec de très grandes portes, sans montant de vitre, et un arrière en pente douce. Comme pour la DS, le terme aérodynamisme semble ici prendre tout son sens au travers de cette ligne signée Robert Opron (dessinateur des futurs CX et Renault 25). Trente ans plus tard le trait est toujours aussi limpide.
À bord, c'est 2001 l'Odyssée de l'espace. Tout est différent de ce qui se fait habituellement. Les fauteuils tout d'abord : en cuir fauve ou noir, ils pourraient rendre jaloux Charles Eams et trôner dans un intérieur contemporain. Le tableau de bord est en inox, avec de très légers reflets bleutés. Il entoure trois compteurs, non pas ronds, mais ovoïdes comme le volant. Le tachymètre est gradué jusqu'à 260 km/h avec les distances d'arrêts correspondantes, et la centrale d'informations qui regroupe tous les voyants de contrôle, possède en son centre un gros "stop" rouge. Quand il s'allume, hors phase de démarrage, mieux vaut s'éjecter d'urgence.
De multiples raffinements, aujourd'hui présents sur la moindre Lada, sont pourtant de véritables exclusivités lors de son lancement : 5 vitesses, vitres électriques teintées, dégivrage arrière, réglages en tout sens de la direction et des sièges, spot de lectures, cendrier éclairé avec allume-cigare, feux arrières de recul, antenne électrique, air conditionné, radio… À part les grosses américaines ou les Rolls, c'est du jamais vu en France.
Tout commence au démarrage : Contact, les voyants s'éteignent un à un et lentement la SM s'ébroue tel un animal qui se réveille. Elle monte jusqu'à se caler à son niveau de suspension intermédiaire. Les deux sorties d'échappement crachent la petite fumée bleue du matin. Il ne manque plus que la piste et l'autorisation de la tour de contrôle.
La direction "varie power" (qui a fait l'objet d'un brevet mondial) est assez déconcertante : très assistée à l'arrêt, elle se durcit avec la vitesse, mais en plus revient automatiquement en ligne droite si on lâche le volant. À la lecture cela paraît simple. Mais associé à la pédale de frein dite "champignon", sans pratiquement aucune course pour freiner plus vite, nombreux sont ceux (journalistes essayeur compris) qui se sont pris un mur lors de leur première manœuvre. Tout le système de direction et de freinage dépend du même système hydraulique que les suspensions, ce qui donne l'impression d'avoir la réplique de "Super Phœnix" à la place du moteur.
Mais une fois sur route, tout prend son sens. Sur le réseau routier du début des années soixante-dix, rouler en SM, c'est comme posséder un mirage face à des monomoteurs à hélice. Plus que les performances (220 km/h en pointe) c'est le confort qui étonne. La voiture survole la chaussée avec une aisance déconcertante et se conduit d'une main. Précise, agile, la SM est faite pour rouler vite et loin, longtemps. Un hymne au voyage transeuropéen.
Et pourtant malgré un accueil enthousiaste (elle est élue voiture du siècle par un journal auto américain) la SM, telle une diva maudite, aura un court destin. Celle qui aurait pu devenir la 911 Française, disparaît dans le quasi-anonymat en 1975, après le rachat de Citroën par Peugeot et 12 920 exemplaires vendus. Que s'est-il passé en 5 ans pour en arriver là ? Bien sûr la crise du pétrole et les limitations de vitesse. Mais tous les constructeurs de sport et prestige l'ont prise de plein fouet et ils ont pourtant survécu. Est-ce alors le réseau, plus habitué à vendre des 2 CV et des Ami 6, qui ne sait pas s'y prendre avec une clientèle exigeante à qui il faut reprendre une Porsche ou une Mercedes ? Ou bien encore la fiabilité douteuse des chaînes de distrubution qui cassaient aux alentours de 70 000 km, et l'entretien du moteur qui demandait à être bichonné comme une Maserati ? Est-ce la direction de Citroën qui, perdu dans ses diversifications et sa comptabilité vacillante, n'a pas cru bon faire évoluer le produit, à part l'arrivé de l'injection électronique en 73 ? Un peu comme un homme qui est encore tout à son étonnement d'avoir conquis une maîtresse trop belle pour lui et qui ne sait plus comment faire pour la garder, Citroën a regardé la SM partir sans rien faire pour la retenir…
40 ans plus tard, elle est toujours aussi mystérieuse, aussi capricieuse. L'émotion vous prend quand le hasard vient à croiser sa route et les novices de demander : "c'est quoi cette nouvelle voiture ?"
Renaud Roubaudi
Essais auto • Citroën
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- Type de véhicule
- Coupé
- Marque
- Citroën
- Année
- 1972
- Modèle
- SM
- emission
- Essais auto
- Tags
- Les Anciennes, France
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Samedi 14 février 2015
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