Une rubrique pilotée par le Commandant Chatel. Ce souvenir m’a été envoyé par François Luciani, un talentueux scénariste et réalisateur, mais surtout un ami.
Au printemps 1962, mon père, natif de la région de Corte, en Corse, avait troqué sa Peugoet 403 gris clair qui, selon lui, faisait de l’eau, pour une Citroën ID 19 bicolore aux couleurs de la méditerrannée, bleue toit blanc, intérieur bleu, en vue des vacances d’été.
J’avais huit ans et déjà une véritable fascination pour cette auto aux suspensions magiques, réglables sur trois positions, haute, moyenne et basse, où il suffisait d’appuyer sur le petit bouton rouge situé à droite, en bas du tableau de bord pour actionner le démarreur.
Fin juillet, nous avons donc joyeusement pris la route en famille pour rejoindre Marseille par la nationale 7 et prendre le « Napoléon » jusqu’à Bastia pour ensuite, « monter au village », comme on dit, jusqu’à Pietroso, là où mon père est né.
Ma mère, musicienne, détestait l’automobile. Elle avait une véritable aversion pour la route, ses dangers, l’univers vulgaire des chauffeurs et autres machos, bref, elle vomissait tout ce qui pouvait s’apparenter de près ou de loin à quatre roues assemblées. Alors, pour passer le temps, elle chantait ce qui lui passait par la tête, Mouloudji, Gréco, Brel, et bien sûr « Nationale 7 » de Charles Trenet :
« Le ciel d’été
Remplit nos cœurs de sa lucidité,
Chasse les aigreurs et les acidités,
Qui font le malheur des grandes citées, toutes excitées.
On chante, on fête, les oliviers sont bleus ma p’tit’Lisette,
L’amour joyeux est là qui fait risette,
On est heureux Nationale 7. »
Et on reprenait en chœur, mes sœurs et moi.
Au retour des vacances, en septembre, mon père, qui exerçait la profession d’avocat, est brutalement décédé d’un infarctus. Il n’avait que 39 ans. Dans le fracas du deuil, la Citröen familiale a pris le chemin d’un petit garage de la rue Saint Gilles, à Paris, près de là où nous habitions, où ma mère l’avait mise en dépôt vente. L’ID 19 bicolore bleue, toit blanc, intérieur bleu, y resta pendant des mois jusqu’à devenir quasiment une épave.
Mais, sans rien dire à personne, j’avais subtilisé un double des clés.
Pendant des mois, en secret, j’invitais régulièrement mes sœurs à jouer à ce qu’on appelait « les vacances ». On s’installait dans la voiture, moi au volant, elles à mes côtés, l’aînée à la place de ma mère, et on mimait le voyage d’été, en route vers le sud, en chantant : « On est heureux Nationale 7. »
C’était comme une carte postale envoyée à nous-mêmes, photo souvenir d’un bonheur sépia, une famille unie par une auto…
Puis un jour, la voiture a disparu, sans doute vendue.
Ça a fait un grand vide mais on est vite est passés à autre chose…
Mais je garde encore intact le souvenir de l’ID 19 bicolore, une superbe auto.
Cette rubrique est désormais aussi la vôtre.
Racontez vos anecdotes au Commandant Chatel par mail (thibautchatel@icloud.com), il se chargera de les publier. N’oubliez pas que pour « Souvenirs d’Autos » nous cherchons de l’anecdote, de l’humain, de l’humour, de l’émotion. On oublie un peu l’arbre à came et le Weber double-corps… Et si possible, joignez à votre histoire des photos…. On adore ça chez POA ! Merci.
L’avis des Petits Observateurs
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