Souvenirs d'Autos • Rolls Royce

Souvenirs d'Autos (231) : Une Shadow me fait de l'oeil

Une rubrique pilotée par le Commandant Chatel. Ce souvenir est écrit par Jean-François Bertrand, Golden Member de POA et surtout un ami.

Nous sommes au début de l’automne ou à la fin de l’été 2005, un après-midi de semaine. Je suis au travail et descends faire une pause-café-cigarette. Alors que mon esprit est à mi-chemin entre mes rêveries bagnolardes et mon boulot, quelque chose m’extirpe de ma semi-torpeur : Une Silver Shadow 2 sort de chez une enseigne monégasque bien connue dans le monde du nettoyage auto.



L’employé sort de la voiture. Il l’a garé juste devant moi. Je commence alors à en faire le tour pour faire un état de lieux de sa condition. Il faut dire que depuis quelques mois j’ai décidé de faire le pas : je souhaite acheter une Rolls ou une Bentley et j’ai bien l’intention de concrétiser ce rêve dans l’année à venir.

Un monsieur arrive, costard cravate, et ouvre la portière de la voiture. Il enlève sa veste. Je profite de cet instant pour me lancer :



  • Bonjour, belle Shadow 2 ! Lui dis-je. 1979 ? 1980 ? Serait-elle à la vente ?


  • 79, non pas celle-ci Monsieur. Par contre nous en avons une autre au Fairmont dont nous nous occupons comme celle-ci. Mais, ce n’est pas une 2, c’est une Shadow de 1966, une des toutes premières immatriculée en Principauté.


  • Tout aussi intéressant, lui dis-je, en essayant de garder mon sang froid car les « Early Shadows » sont, d’un point de vue esthétique, mes préférées. Pensez-vous que je pourrais l’essayer ?


  • Le propriétaire est actuellement aux USA pour quelques mois, mais je peux le contacter et vous tenir informé. Laissez-moi vos coordonnées. En ce que me concerne, si vous voulez me joindre vous appelez le standard du Fairmont et vous demandez « je ne me souviens plus de son prénom ». Je suis un des voituriers, on me transmettra votre appel. »




Je lui donne mon numéro de téléphone, nous nous saluons, il démarre la Shadow et s’en va dans un silence que seuls les 6 ¾ carbus ont le secret.

Quelques semaines passent. J’appelle le standard du Fairmont.



  • Allo ?


  • Bonjour, serait-il possible de parler à « je ne me souviens plus de son prénom »


  • Oui ! Bonjour Monsieur  Bertrand! « Je ne me souviens plus de son prénom » à l’appareil ! Vous avez bien fait de m’appeler car je n’arrivais plus à retrouver votre numéro de téléphone ! C’eut été dommage car justement j’ai eu le propriétaire de la Shadow 66… il est d’accord pour que vous la voyiez et que vous puissiez l’essayer. Quelles sont vos disponibilités ?






Les jours passent et le rendez-vous arrive. Je me présente au service voituriers du Fairmont et reconnais « Je ne me souviens plus de son prénom ».



  • Bonjour Monsieur Bertrand comment allez- vous ?


  • Très bien, je vous remercie.


  • La Shadow est juste ici, je vous l’ai préparé, je vous demanderais juste de me donner les clefs et les papiers de votre véhicule, vous comprenez aisément pourquoi.


  • Je comprends tout à fait, les papiers sont à l’intérieur quant aux clefs les voici.


  • La seule chose que je vous demanderais Monsieur Bertrand c’est d’être de retour un peu avant 18h.




De nouveau je dois garder mon sang froid… Mais quel panard ! J’ai toute l’après-midi pour l’essayer, me balader en Rolls.

Je m’installe, démarre, mets le levier de vitesse sur D, enlève le frein à main et roule !

Je me laisse aller à un train de sénateur dans les rues monégasques, Aleanor Thornton en poisson pilote.



 

À peine sorti de la Principauté, je me dirige vers la Turbie pour prendre la Grande Corniche. Grand moment de bonheur égoïste, seul, en Rolls admirant le paysage et la vue qui défilent derrière le pare-brise.

Mais ressaisit toi J-F ! Tu n’es pas là pour te prendre juste pour un prince du sang déchu ! Tu es là pour inspecter cette voiture, voir ce qui va, ce qui ne va pas. En fait, il n’y avait pas grand qui n’allait pas, juste quelques petits détails de carrosserie, une rayure sur la porte arrière droite et un début de craquement de la peinture à la base des montants de pare-brise (maladie caractéristique de ces caisses). Mais pour une voiture 100% d’origine et dans son jus, dans son ensemble, elle était superbe : d’un flamboyant Cardinal Red, avec les armoiries du premier propriétaire prises dans les coachlines, les pneus à flanc blancs, son intérieur Tan avec les tablettes pique-nique caractéristiques des premières Shadow (en plus de leur tableau de bord).

Mon inspection terminée et ayant encore beaucoup de temps devant moi je décide d’aller à Nice pour la montrer au frère d’un ami qui est dans le négoce de voiture pour que son œil de professionnel me donne son avis.

J’arrive devant la brasserie de mon ami sur l’avenue Félix Faure et, ô chance, une place est libre juste devant sa terrasse. Je me gare sous le regard inquisiteur des clients prêts à me railler, je le sens, si je venais à me louper dans ma manœuvre… Mais une Rolls ça braque Môssieur ! Et la visibilité que vous avez des extrémités de la voiture font que vous pouvez la placer au millimètre sans crainte ou quasiment.



Tout de suite mon ami vient vers moi, son père sort de derrière son comptoir accompagné de son deuxième fils. Nous sommes en présence d’une famille de bagnolards au stade incurable (Porsche 964 RS, Mustang Mach1, Dino 246 GT, M635CSI, etc...) même la maman, est atteinte… c’est vous dire !



  • Oh Jeff ! Ça y est t’as craqué !


  • Non pas encore mais qui sait, je suis juste en train de l’essayer et comme je savais que ton frère était là, je voulais la faire passer sous son regard expert. Alors, qu’est-ce que tu en penses ?




Le frangin était déjà en train de faire son inspection et son rapport :



  • Ben écoute, franchement, elle est plutôt pas mal, avec son kilométrage (68000 kms certifié par la concession), le fait qu’elle soit dans son jus et quel jus, jamais tapée… Si elle te plait et que le propriétaire est raisonnable, lâche-toi ! D’’ailleurs, il en veut combien ?


  • Eh bien, on n’en a pas encore parlé… je sais juste une chose, c’est que c’est sa femme qui le pousse à la vendre.






C’est alors qu’un monsieur qui était en terrasse avec des amis, vient à notre rencontre.



  • Bonjour, elle est à vous ?


  • Non pas encore, qui sait ? Peut-être, je suis en train de l’essayer justement en vue de l’acheter.


  • Elle est belle ! Donc vous aimez les Rolls ? C’est votre première ?


  • Oui, lui dis-je.


  • En ce qui me concerne je possède une Silver Spirit, je voulais quelque chose de plus récent pour rouler au quotidien, c’est mieux.


  • Et vous êtes venu ici avec ?


  • Euh… non… aujourd’hui j’ai pris mon Béhème cabriolet… En tout cas j’espère que vous pourrez concrétiser, bonne chance !






Et il retourne s’assoir parmi ses amis pendant que je le regarde d’un œil dubitatif…. Est-ce que j’ai eu affaire à un affabulateur qui m’a juste dit cela pour se faire mousser ? Va savoir…

Je prends congé de mes amis, fais un signe d’au revoir à ce fameux monsieur qui me répond que l’on aura l’occasion de se revoir car il vient souvent boire un verre ici. Je monte dans la Shadow et m’en retourne par le bord de mer à Monaco.

Il est presque 18h quand je rends la Rolls au voiturier et rentre chez moi la tête pleine d’image, encore dans ce rêve éveillé que je viens de vivre.

Quelques jours plus tard, je recontacte le voiturier pour connaitre le prix auquel le propriétaire souhaiterait s’en séparer. Il me répond en me précisant une nouvelle fois que c’est sa femme qui le force à la vendre mais que lui y est très attaché… Il m’annonce alors un tarif bien au-dessus de ce qui pouvait se pratiquer à l’époque pour une Silver Shadow… Je vous avoue que subitement mes rêves à ce moment ont tendance à s’effondrer… J’en parle même au chef d’atelier de la concession monégasque que je connais très bien et lui aussi me dit que même si la voiture est très belle, entretenue, il la connait par cœur et me montre les dernières factures d’entretien, ça ne vaut pas le coup à ce tarif.

J’en fais part au voiturier qui sert finalement d’intermédiaire entre le propriétaire et moi. Il me répond qu’il comprend très bien ma position, mais au fond de lui, il est sûr que s’il a autant surévalué le prix c’est pour être sûr de ne pas arriver à la vendre et de justifier auprès de son épouse le fait qu’ils n’ont d’autre choix que de la conserver… Cette remarque me fit sourire tout en me disant que j’aurais fait la même chose à sa place et diminua fortement ma déception de ne pas avoir pu concrétiser à cette occasion un de mes rêves de gosse.

 

Quelques jours plus tard, alors que j’étais à la terrasse de la brasserie de mon ami en train justement de lui raconter par le menu les raisons de ma décision de ne pas l’acheter, nous voyons aux feux tricolores une Silver Spirit bleu (Cobalt Blue pour être précis)... Mon ami me dit alors :



  • Tiens, c’est le gars qui est venu discuter avec toi l’autre jour quand tu étais avec la Shadow ! »




Donc c’était bien la vérité, pensais-je alors, un peu coupable de ne pas avoir cru cette personne au premier chef…

La Rolls se gare… enfin se gare… se pose là… dirons-nous… En sort le fameux monsieur qui vient à notre rencontre. Il dit bonjour à mon ami, me salue, et de suite, me demande où en étais-je dans ma transaction.

Tout en lui proposant de s’assoir et de boire un verre ensemble, je lui raconte la conclusion de cette affaire et lui dis que je ne baissais pas les bras pour autant de trouver une Rolls ou une Bentley… Nous fîmes les présentations et passâmes le reste de la soirée à discuter… BAGNOLES !!!!

Nous nous revîmes de plus en plus souvent au point qu’à ce jour, il est parmi mes meilleurs amis.

Vous le connaissez, chers Petits Observateurs, c’est Bertrand le propriétaire de la Cadillac Brougham blanche que notre Président vous présenta en même temps que mon Continental R.

C’est pour cette raison je ne pourrai jamais oublier cette Silver Shadow.

Cette rubrique est aussi la vôtre !

Racontez vos anecdotes au Commandant Chatel par mail (thibautchatel@icloud.com), il se chargera de les publier. N’oubliez pas que pour « Souvenirs d’Autos » nous cherchons de l’anecdote, de l’humain, de l’humour, de l’émotion. On oublie un peu l’arbre à came et le Weber double-corps… Et si possible, joignez à votre histoire des photos…. On adore ça chez POA ! Merci.

 

 

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Vendredi 14 juin 2019

L’avis des Petits Observateurs

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