Circuit du Nürburgring : Les fous du volant

Découvrez les secrets du circuit du Nürburgring en Allemagne, dernière espace de liberté automobile ouvert à tous les véhicules, sans aucune limite. par Renaud Roubaudi

Enfant j'aimais suivre les aventures de Satanas &Diabolo, un dessin animé, produit par Hanna Barbera. La trame était toujours la même : une course folle entre des personnages tous plus déjantés les uns que les autres et prêts à tout pour passer en premier la ligne d'arrivée. Jamais je n'aurais imaginé les rencontrer en chair et en os. Et pourtant. Il existe un lieu en Europe où les fous du volant de toutes origines ont rendez-vous. Un lieu où les règles n'ont pratiquement pas changé depuis trois quarts de siècle. Bienvenue dans le monde du Nürburgring ! Communément appelé le "Ring", ce circuit mythique, situé en Allemagne à une centaine de kilomètres du Luxembourg, a la particularité d'être ouvert au grand public depuis 1927 !

Créé à l'époque pour développer les essais des constructeurs automobiles et également faire concurrence à Montlhery et Monza, l'état allemand associé aux différents automobile clubs décide d'en faire un grand projet économique. De là va naître un circuit gigantesque dont la particularité est d'être doté de deux pistes : la boucle sud (Sudschleife) distante de 7,7 km et la boucle nord (Nordschleife) longue de 22, 8 km ! C'est cette dernière qui va faire la réputation du lieu. Le tracé est d'une incroyable complexité car il a suivi le relief naturel existant avec ses montées, ses descentes, ses 170 virages "à l'aveugle" tous différents. Associé à sa longueur exceptionnelle, le "Ring" a toujours été considéré par les pilotes comme le juge de paix de l'art de conduire. Alors que tout semble la prédestiner aux professionnels, cette piste est pourtant dès sa création ouverte au public. Entre les courses, tout individu muni d'une automobile peut emprunter le circuit et y rouler comme bon lui semble ! Cette règle est toujours en vigueur en 2012. En 85 ans le Nurburgring ne va finalement subir que peu d'évolutions majeures. 

En 1970 tout d'abord, les pilotes de F1 décident de boycotter la boucle nord pour d'évidentes raisons de sécurité. Le tracé d'origine est conservé, mais les 22 kms sont alors entièrement remis à neuf mais. Cela n'empêchera pas l'accident de Niki Lauda en 1976 qui prive définitivement le "Nordschleif" des courses de F1. En 1983 est inauguré, à partir de la piste sud, un nouveau tracé adapté aux conditions modernes. Long de 4,5 km il accueille depuis, chaque année, le grand Prix d'Europe. Mais la fameuse boucle Nord, pourtant incriminée pour sa dangerosité, demeure en l'état. Sa distance se voit juste réduite à 20, 8 km. Elle accueille des courses de moindres importances et est toujours ouverte au public à certaines dates.

Premier choc. La région d'Eifeil qui abrite le circuit est digne de l'ambiance "clinique de la Forêt Noir" ! N'allez pas y tomber en panne d'essence, car personne ne vous retrouvera jamais dans cette forêt géante. En une heure de route, nous avons dû croiser à peine quelques hameaux désertiques. Puis tout d'un coup, en haut d'une côte, surgissent de nulle part les hautes tours du circuit et les gigantesques tribunes. Planté là comme un château fort, le Nürburgring, majestueux, domine la région du haut de ses donjons. C'est en fait le village de Nürburg, si tant est que l'on puisse parler de village, qui abrite le circuit. Perdues le long d'une petite route, quelques maisons, un pub, deux hôtels sans âme et basta.

Nous arrivons enfin, fébriles, au "pit stop" de départ et sommes accueillis par une légion d'ailerons bleus "alpine". Il s'agit en fait d'une dizaine de Subaru Impreza GT, toute plus ou moins "body bulde" par des opérations de tunning. Deux petits bâtiments, une billetterie et un bar à peine plus sexy qu'une cafétéria de resto U, et deux parkings centres de toute l'activité. L'ambiance y est un mélange proche du supermarché de banlieue et de Fast & Furious. Pléthore de marques y cohabitent joyeusement : BMW M3 or métal ou mauve, Porsche 911 GT3 cup, Alfa 75 couvertes d'autocollants courses, les toute dernière BMW série 6 et Nissan 350 Z, une AX GTI de 1988, une Fiat 500 dont le moteur arrière modifié est à l'air libre, des Opel Kadet de différents millésimes mais toutes de couleurs fluo jaune, vertes, oranges, une Alpine GTA, Seat Leon cupra, Lancia Delta Intégrale blanche à bande bleue, Diablo et 355 berlinetta. Mais aussi pas mal de voiture de "monsieur tout le monde": des Audi A4 avant TDi, Laguna Break, Golf, Ford Ka… Les plaques d'immatriculation sont principalement allemandes, hollandaises, suisses et anglaises. La piste du Nordschleife semble, comme son nom l'indique, réservée à un public nordique. 

Le plus étonnant est de constater que pour quelques tours réalisés, les conducteurs restent la journée sur le parking à "vivre" l'ambiance. Étrangement, il règne dans ce capharnaüm apparent une sorte d'ordre sous jacent. Un peu comme des animaux sauvages qui se retrouveraient le soir au point d'eau. Chacun se jauge avec respect, conscient d'appartenir à la même race et d'avoir les mêmes besoins. Tous savent la vitesse fatalement condamnée, mais ici au Nürburgring, l'instant d'une journée, cette dure loi de l'évolution automobile n'existe plus. Ils s'y sentent libres avec le sentiment, réel, que tout peut arriver. Dérapages, tôles froissées, sortie de route, accident, blessure… Mais avant de mériter le ring, il y a, comme en tout bon pèlerinage, un rite à respecter. Certain, bien que conduisant une simple familiale, s'équipe comme un pilote de f1 : combinaison, gant, casque… D'autre déballe tout un attirail pour simplement vérifier la pression des pneus. Mais tous observent, comparent, dissèquent la voiture du voisin. Mais vient le moment de s'engager sur le circuit et de passer la barrière de contrôle. 

Les règles sont simples : rouler dans un seul sens, ne jamais s'arrêter et respecter les drapeaux en cas d'accident. Très vite on prend conscience d'avoir à faire à plus fort que soi. 

Le circuit est dur, technique, précis avec peu de visibilité au milieu des sapins. Les changements d'appui son constant et les montées et descentes vous font décoller pour un rien. Mais le vrai sentiment de danger vient des rétroviseurs, quand vous apercevez débouler à fond une Mitsubishi Carisma Gt plein phares alors que vous-même effectuez un dépassement de Passat break avec le père, la mère, la grand mère et le bébé dans son siège. C'est là la vraie folie du Ring, celle de laisser cohabiter tout objet roulant quels que soient son état et son conducteur. Parfois dans un même virage, vous allez croiser six ou sept autos qui tentent de se dépasser sans succès, créant un magma roulant. À croire que le mythe du circuit dégage une sorte d'adrénaline qui condamne tout conducteur, même raisonnable, à enfoncer l'accélérateur, malgré lui. Du coup on est rivé à son volant, concentré et ultra-attentif pour boucler les 10 mn d'un tour. On sort vidé mais heureux d'être intact. Trois fois lors du week-end, les ambulances sont intervenues avec les dépanneuses. À chaque annonce d'accident via les hauts parleurs, le circuit est immobilisé, mais dans le "pit" de départ, le visage des participants reste impassible. Comme si cette fatalité ne devait pas exister ni être défié. C'est ça le Nürburgring, il vous tolère tel un animal sauvage qui peut mordre à tout instant. Le soir venu chacun s'en retourne fier d'avoir approcher la bête, conscient qu'elle représente une race en voie de disparition.

Renaud Roubaudi/ Petites Observations Automobile - juin 2012

Infos

Circuit du Nürburgring à Nürburg. Autoroute de l'Est A4 direction Reims - Verdun- Luxembourg- A1 Trier - Ulmen - sortie Nürburg. Pour connaître les dates et les horaires d'ouverture au public, consultez le site : www.nuerburgring.de, cliquez sur "opening times" ou appelez le 00 49 2691 302 144. 15 ¤ le tour, 56 ¤ les 5 tours.