Souvenirs d’Autos (438) La Range du désert

Un tout début d'année 1983, 84 ou 85, je sais plus...

La nuit est froide, noire et Toulouse est encore loin, c'est mon rituel de parisien, rejoindre la ville rose par la "20". La CX trace sa route, seule, je touche à peine son volant si sensible.

J'ai du gasoil, des biscuits, de l'eau et du café... pas d'arrêt risquant de casser la moyenne, j'attendrai Cahors pour saluer "Ray".

J'approche d'une ville, (Limoge, de mémoire), il y a un contournement, une sorte de mini rocade, revêtement moyen, raccords, toute en courbes et penchant vers l'extérieur... le truc idéal pour voir si une auto tient par-terre! C'est la récréation, au fil des voyages, j'affine les passages, j'améliore la vitesse, faut dire qu'à l'époque, j'ai pas que de bonnes idées!

Je cale la CX, la caisse prend de la gîte, l'hydraulique fait le reste, manque juste à allumer un cierge sur le tableau de bord et prier le dieu Michelin que les TRX soient d'une fidélité sans faille !

Mais cette nuit là... une paire de phare apparait dans le rétroviseur, elle se rapproche vite, trop vite pour que mon égo ne soit pas bousculé. Qui est ce provocateur qui vient sur mon terrain de jeu? Son approche est rapide, il est plus qu'à quelques mètres, une foule d'excuses me vient, "une sportive sans doute, puissante, rivée au sol, contre laquelle mes talents de pilote ne peuvent rien!" Il faudra que je trouve autre chose, les phares sont très hauts et surtout, très éloignés de l'horizontal, pas le temps de continuer mes suppositions, l'engin me double... pas le dépassement laborieux où rien n'est gagné, non!.... je me fais proprement "déposer", imaginant le type sifflotant le coude à la portière! et par qui?

Un RANGE ! un de la pire espèce, dédaigneux, littéralement vautré, me faisant remarquer ses pneus tout-terrain, comme si c'était pas un problème, et comme pour porter l'estocade... il me lance le râle puissant de son V8 à l'échappement libéré, ce son qui ne peut pas laisser indifférent les amateurs et qui le rend encore plus détestable!

En regardant la déco, les feux de toit et les numéros sur les portières, je commence à comprendre, c'est un engin du Dakar!  Pourquoi est-il là?... Je n’en sais rien, je ne suis pas trop cette compétition à l'époque.

Fin de l'épisode, je retrouve ma solitude, mon rythme, ma mauvaise humeur aussi, ma jeunesse de l'époque est chargée de susceptibilité, je suis mauvais joueur, alors derrière le volant je ronge mon frein.  Uzerche, Souillac et puis ma mémoire qui revoit cette ligne droite dans les Causses, des paroies blanches sur les côtés, une petite station-service perdue au milieu et la CX qui file à vive allure donnant l'impression de survoler la route par endroits.

J'arrive vers Cahors par le contournement et là, en sortie de ville, il y a la station de "Ray"... c'est un personnage, réunionnais ou guadeloupéen, je ne sais plus, c'est un fan du grand Ray Charles, lunettes sur le nez, musique dans les hauts parleurs de la station, il a même cette façon de lever et bouger la tête en parlant!

J'ai pas besoin de gasoil, c'est une halte "exotique" et puis il y a "la machine à hamburger congelé", un truc infâme à vous terrasser un Périco Légasse! Une pièce dans l'appareil... bong... un truc façon Tricatel tombe dans le réceptacle, à côté, un micro-onde capricieux offre deux options, pain tiède, cheddar rigide et steack encore congelé ou, pain brûlant, fromage  désintégré, viande bouillie! Le tout accompagné d'un Seven-Up faisant de moi à l'époque un fin gourmet, raffolant des croissants Danerolles et du jus d'orange Tang... bon appétit!

Je pointe donc la calandre de la Citroën dans la station, surprise, mon ami

le Range est là, tous feux éteints sous les néons faiblards, haut sur pattes,

muscles tendus, il ferait presque peur.

Un grand type en combinaison, pas tout jeune fait le plein, le regard ailleurs.... Je rentre dans la boutique, "b'soir", Ray me fait un signe, il y a un autre type en combinaison assis devant des cafés. 

Le temps de préparer ma "collation" et j'entends : "Ah mais, c'est notre pilote en herbe, notre champion du jour, fais gaffe p'tit, tu vas finir aux pâquerettes!"

C'est le grand qui vient de rentrer, et la boutade est bien pour moi, moqueur, piquant, je prends ça mal venant de ce gars qui ne montre pas l'exemple, mais ma timidité et mon manque de répartie fait qu'aucun son ne sort de ma bouche !

Je suis l'élève que réprimande le maître.

Ils lèvent le camp, le grondement sourd du britannique fait vibrer la station, au ralenti, il rejoint la route et puis c'est le concerto des rapports qui s'enchaînent, seul bruit qui disparait doucement en quittant la ville et qui me fait reprendre la route à mon tour.

Après Caussade, la route devient rectiligne, une trois voies dégagée, je ne suis pas encore à Montauban et puis après Toulouse!......c'est long! je roule vite, relançant après chaque village, pas âme qui vive sauf... une fois de plus les feux rouges de l'anglais au loin. Fatigué et cherchant sans doute à passer mes nerfs, c'est sans aucun fairplay que je vais gagner la bataille par surprise surgissant d'une bosse en demandant le meilleur à mon fidèle destrier  !

Pas de représailles du pilote, juste un appel de phare, interprété aujourd'hui du haut de ma "soixantaine responsable" comme le traité de paix de cette longue nuit routière, le vieux renard du désert évitant au jeune impétueux de se retrouver enroulé autour d'un platane!

Qui a gagné le Dakar cette année-là ?... peut-être mon vieil ami le Range!

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